Le 24 juillet 1967, le général de Gaulle, du haut du balcon de l'hôtel de ville de Montréal, faisait un bref discours qui n'était pas prévu au programme officiel. Arrivant de Québec par le Chemin du Roy, le général venait de recontrer le maire de Montréal, Jean Drapeau, qui avait inauguré quelques semaines plus tôt l'exposition universelle Expo 67. Il devait saluer la foule qui l'attendait devant l'Hôtel de ville, mais il ne devait pas prendre la parole. Devant l'enthousiasme de la foule, il a voulu leur dire quelques mots ; le maire de Montréal, qui aimait garder le contrôle, lui a dit qu'il n'y avait pas de micro. De Gaulle apercevant un micro dans un coin a demandé qu'on le branchât et il a prononcé le bref discours que l'on peut lire ici et voir et entendre sur cette vidéo :
La foule était enthousiaste, le gouvernement canadien indigné, le maire de Montréal embarrassé et le premier ministre du Québec Daniel Johnson, que de Gaulle appelait « mon ami Johnson », devait rire dans sa barbe, lui qui, devant l'historique inertie du gouvernement canadien envers les revendications du Québec, avait fait de l'« Égalité ou indépendance » son programme politique.
Les adversaires politiques du général de Gaulle l'ont accusé d'avoir maladroitement improvisé et d'avoir provoqué la plus grave crise politique entre la France et le Canada. Au maire de Montréal qui, le lendemain de cette célèbre déclaration, lui reprochait poliment de remettre l'Histoire en cause entre les Canadiens de souche française et ceux de souche britannique, de Gaulle, répondit : « Ensemble, nous avons été au fond des choses et nous en recueillons, les uns et les autres, des leçons capitales. Et, quant au reste, tout ce qui grouille, grenouille et scribouille n'a pas de conséquences historiques dans ces grandes circonstances, pas plus qu'elle n'en eut jamais jamais dans d'autres. » Moins d'un an plus tard, Pierre Elliott Trudeau devint premier ministre du Canada, il était encore furieux contre de Gaulle qui avait, selon lui, offert aux souverainistes québécois une vitrine internationale à leurs revendications politiques ; il tenta de forcer la France à rentrer dans le rang et de reconnaître l'unité politique du Canada. De Gaulle déclara alors : « Nous n'avons aucune concession, ni même aucune amabilité, à faire à M. Trudeau, qui est l'adversaire de la chose française au Canada. »
Dans son livre de souvenirs politiques intitulé C'était de Gaulle, l'ancien ministre gaulliste Alain Peyrefitte (dans un autre genre de littérature, je trouve le cousin de celui-ci plus amusant à lire) révèle que la déclaration du général n'était pas du tout improvisée et qu'il avait sciemment décidé de donner un coup de mains aux Québécois, sur le chemin de leur libération. Au cours de la traversée de Brest à Québec (le Général avait choisi de venir par bateau, ce qui lui permettait d'arriver directement à Québec sans passer par Ottawa), sur le Colbert, de Gaulle aurait confié à son gendre : « Je compte frapper un grand coup. Ça bardera mais il le faut. C'est la dernière occasion de réparer la lâcheté de la France. »
Bien sûr, il n'appartenait pas au président français de déterminer l'avenir politique et constitutionnel du Québec, mais son « Vive le Québec libre ! » était une façon de dire aux Québécois « Je vous ai compris ! » et cela donnait au mouvement souverainiste québécois une formidable reconnaissance internationale.
Depuis, après les moments forts de la volonté d'indépendance, après le référendum volé de 1995, les Québécois semblent préférer leur piscine gonflable dans la cour à la souveraineté politique, le « confort et l'indifférence », comme le souligne si bien un film de Denis Arcand. Ils préfèrent, pour l'instant, constituer dans le Canada une minorité ethnique et culturelle qui a de moins en moins de poids démographique et politique plutôt que d'affirmer leur autonomie de peuple adulte dans un Québec souverain. Ils se contentent maintenant de se faire dire par le premier ministre canadien qu'ils sont un sympathique groupe culturel au Canada plutôt que de s'affirmer politiquement et de joindre les Nations Unies en tant que peuple souverain, libre d'assumer fièrement et pleinement son destin.
Les adversaires politiques du général de Gaulle l'ont accusé d'avoir maladroitement improvisé et d'avoir provoqué la plus grave crise politique entre la France et le Canada. Au maire de Montréal qui, le lendemain de cette célèbre déclaration, lui reprochait poliment de remettre l'Histoire en cause entre les Canadiens de souche française et ceux de souche britannique, de Gaulle, répondit : « Ensemble, nous avons été au fond des choses et nous en recueillons, les uns et les autres, des leçons capitales. Et, quant au reste, tout ce qui grouille, grenouille et scribouille n'a pas de conséquences historiques dans ces grandes circonstances, pas plus qu'elle n'en eut jamais jamais dans d'autres. » Moins d'un an plus tard, Pierre Elliott Trudeau devint premier ministre du Canada, il était encore furieux contre de Gaulle qui avait, selon lui, offert aux souverainistes québécois une vitrine internationale à leurs revendications politiques ; il tenta de forcer la France à rentrer dans le rang et de reconnaître l'unité politique du Canada. De Gaulle déclara alors : « Nous n'avons aucune concession, ni même aucune amabilité, à faire à M. Trudeau, qui est l'adversaire de la chose française au Canada. »
Dans son livre de souvenirs politiques intitulé C'était de Gaulle, l'ancien ministre gaulliste Alain Peyrefitte (dans un autre genre de littérature, je trouve le cousin de celui-ci plus amusant à lire) révèle que la déclaration du général n'était pas du tout improvisée et qu'il avait sciemment décidé de donner un coup de mains aux Québécois, sur le chemin de leur libération. Au cours de la traversée de Brest à Québec (le Général avait choisi de venir par bateau, ce qui lui permettait d'arriver directement à Québec sans passer par Ottawa), sur le Colbert, de Gaulle aurait confié à son gendre : « Je compte frapper un grand coup. Ça bardera mais il le faut. C'est la dernière occasion de réparer la lâcheté de la France. »
Bien sûr, il n'appartenait pas au président français de déterminer l'avenir politique et constitutionnel du Québec, mais son « Vive le Québec libre ! » était une façon de dire aux Québécois « Je vous ai compris ! » et cela donnait au mouvement souverainiste québécois une formidable reconnaissance internationale.
Depuis, après les moments forts de la volonté d'indépendance, après le référendum volé de 1995, les Québécois semblent préférer leur piscine gonflable dans la cour à la souveraineté politique, le « confort et l'indifférence », comme le souligne si bien un film de Denis Arcand. Ils préfèrent, pour l'instant, constituer dans le Canada une minorité ethnique et culturelle qui a de moins en moins de poids démographique et politique plutôt que d'affirmer leur autonomie de peuple adulte dans un Québec souverain. Ils se contentent maintenant de se faire dire par le premier ministre canadien qu'ils sont un sympathique groupe culturel au Canada plutôt que de s'affirmer politiquement et de joindre les Nations Unies en tant que peuple souverain, libre d'assumer fièrement et pleinement son destin.
7 commentaires:
Bien que te sachant très occupé, je m'inquiétais un peu de ta disparition des écrans, me voilà rassuré.
Je suis sûr que si j'étais québecois, je serais un souverainiste très remonté. Mais étant étranger, je m'abstiens en général d'émettre un avis trop marqué quand je suis sur tes terres, considérant que je me mêle de ce qui ne me regarde pas.
Moi, j'ai des frissons quand j'entends cette fameuse déclaration! (même chose avec le J'ai jamais été aussi fier d'être Québécois...")
Et il faut dire qu'avec un gouvernement comme celui de Charest au provincial et Harper au fédéral, c'est dur de vraiment vivre sinon dans le confort, du moins dans l'indifférence!
Vincent, si de Gaulle a eu le courage de provoquer au Canada (pas nécessaire d'ajouter l'adjectif « anglais » après le mot Canada ; ce serait un pléonasme) le tremblement de terre qui s'est produit le 24 juillet 1967, tu peux te permettre d'exprimer ton opinion personnelle. Jusqu'à preuve du contraire, le premier ministre canadien ne lit pas mon blogue. Et je crois qu'est révolu le temps de la paranoïa de l'époque Pierre Elliott Trudeau, le « grand démocrate », qui faisait ficher par les Services de sécurité toute personne qui éprouvait quelque sympathie pour la souveraineté. À l'époque, même le terme « Québécois » était subversif ! Et le gouvernement canadien qui faisait des crises d'urticaire du moment que l'adjectif « national » était employé pour qualifier quelque chose de québécois n'a pas trouvé mieux que de coller le mot « national » à tout ce qui se fait au Canada ; excellent moyen de propagande pour faire croire qu'il existe au Canada une seule nation alors que ce gouvernement a tout fait pour défendre l'idée que le Canada étaient composé de nombreuses minorités ; parmi toutes ces « minorités culturelles », les Québécois ont été les derniers à être « généreusement » reconnus comme groupe ethnique, il y a quelques mois seulement.
Danaée, je réagis comme toi à ces deux phrases si prometteuses et qui ont si longtemps alimenté le sentiment de fierté et la volonté d'affirmation... Si de Gaulle et René Lévesque devaient ressusciter et revenir au Québec ces jours-ci, je crois qu'ils retourneraient rapidement se coucher ! Comme somnifères politiques, on n'aura rarement vu mieux que les deux insignifiants Jean Charest et Stephen Harper. Même Robert Bourassa savait faire semblant de vouloir diriger les Québécois quelque part ; ce n'était que de la supercherie mais Jean Charest ne se donne même pas cette peine de présenter un projet de société. Le seul projet semble être celui des PPP de son obsédée ministre Monique Jérôme-Forget, qui a découvert dans les poubelles de Tony Blair ce programme de Partenariats public-privé dont l'Angleterre qui en a fait l'expérience, semble vouloir se débarrasser au plus tôt.
De Gaulle aura tout de même eu raison sur la formidable avancée du Québec au cours des 40 dernières années. S'ils semblent manquer de courage politique, les Québécois se sont tout de même affirmés dans bien des domaines : économique, scientifique, technologique, culturel,... Ils ne cèdent pas leur place non plus en matière d'écologie et de protection de l'environnement.
Je ne connaissais que la dernière phrase. Il est un peu condescendant quand même. Je me sens plus Québécois que Français d'Amérique. Et souvent plus Nord-américain que francophone. En tout cas, c'était un bon orateur.
Condescendant, oui, sans doute un peu ; mais n'oublie pas, Pierre-Yves, qu'il y a quarante ans, la France était encore condescendante et que le Québec ne faisait qu'amorcer sa Révolution tranquille, avant mai 68... Et le général, c'est tout de même une autre époque ; les Français eux-mêmes lui ont donné congé moins de deux ans plus tard.
Mais aussi, je crois que le discours s'inscrivait dans une stratégie bien calculée ; le Libérateur de la France voulait peu à peu, au cours de ses haltes le long du Chemin du Roy : entre Montréal et Québec, son discours a progressé, permettant aux Québécois de se faire peu à peu à l'idée que le visiteur de marque avait libéré la France de l'envahisseur, que les Québécois pourraient sans doute se libérer eux aussi des Conquérants britanniques.
Oui, c'était un grand orateur : on n'en a plus beaucoup comme lui ; heureusement, peut-être ;)
Il nous en faudrait un tout de même pour galvaniser les troupes et nous débarrasser de l'insignifiance actuelle des gouvernants tant à Ottawa qu'à Québec.
Heureusement que tu es là pour nous rappeler les périodes vivantes de notre histoire Alcib. Merci.
J'ai entendu cette fameuse phrase le soir même du 24 juillet 1967, au téléjournal de Radio-Canada. C'était vraiment très impressionnant car de Gaulle avait une voix lente et profonde et il a articulé chaque syllabe, Ça résonne encore à mes oreilles:
« Vive le Québec...
Vive le Québec... lii-bre»
et ensuite les hurlements de la foule en délire. Un grand moment!
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