L'idée, de Laurent, est plutôt séduisante : chaque mois, le même jour, à la même heure, un certain nombre de blogueurs écrivent sur un sujet commun qui a été déterminé un peu à l'avance. Les billets sont publiés simultanément, en principe, le 15 du mois, à 6 heures, heure de Montréal.
Ce mois-ci sur le sujet « T'as le look ? », je vous invite à aller lire le point de vue de :
Laurent,
Bertrand,
Jean-Marc,
Lady Iphigénia,
Julien,
Bergere,
Christophe,
Isabelle,
Pho,
Hibiscus,
Fred,
Joël et
Bluelulie. Normalement, il y aurait eu aussi
Olivier de Montréal, mais, après avoir perdu plus de sept kilos, il est parti en reprendre un ou deux dans sa famille, en France, avant d'aller se faire bronzer en Grèce.
Je serai en retard pour mettre en ligne mon propre billet : j'ai dû travailler sur autre chose, tard samedi soir et une partie de la nuit. Le billet sera donc en ligne aujourd'hui, dimanche, mais un peu plus tard. Allez lire les autres et ensuite vous reviendrez, sans trop vous presser, car j'aurai bien cinq ou six heures de retard... Je suis désolé pour les lecteurs du dimanche : le billet n'aura vraiment été en ligne qu'à la toute fin de ce dimanche...
S'il est un sujet de conversation que j'essaie d'éviter, aussi bien en personne que dans les échanges sur Internet, c'est celui de l'apparence physique, du style vestimentaire. Quand on a proposé ce sujet pour la
rédac' du mois, je me suis dit que je passerais mon tour, d'autant plus facilement que je suis débordé de travail et que je ne voyais pas pourquoi je ferais un effort pour écrire un billet sur un sujet qui m'énerve. Au moment où j'ai reçu le courriel d'
Olivier, me rappelant que la date de remise du devoir approchait, je m'apprêtais à lui répondre de ne pas ajouter mon pseudo à la liste des participants du mois quand je me suis dit : « Pourquoi pas, au fond ? Je dois bien avoir quelques idées ou quelques humeurs à ce sujet ! » Cet accès d'optimisme date de quelques jours déjà et, depuis, bien de l'eau a coulé sous le pont...
Jacques-Cartier *Note 1.
Quand un sujet nous énerve, il y a trois attitudes possibles : 1) ne rien faire, 2) prendre la fuite ou, 3) combattre l'« agression ». Je me souviens d'un jour où, devant faire un choix de cours à l'université, j'hésitais ; la responsable du programme me suggéra, pour compléter mon choix, de m'inscrire à un cours de création littéraire. Je lui répondis que cela me faisait peur de devoir écrire en classe, de faire lire mes textes, etc. ; elle me répondit fermement : « Justement ! Si cela vous fait peur, prenez ce cours ! » J'ai évidemment suivi son conseil et ce fut pour moi l'une des meilleures décisions de ma vie ; non seulement j'ai eu beaucoup de plaisir durant cette session universitaire, mais le plaisir s'est longuement prolongé... D'ailleurs, quand elle me voyait tourner en rond, comme si j'avais momentanément oublié ma raison d'être, l'une de mes collègues, femme sans diplôme mais d'une sagesse incroyable et qui, ce qui ne gâchait rien, m'aimait beaucoup, me disait qu'elle ne m'avait jamais vu si heureux que lorsque j'écrivais (elle m'avait d'ailleurs prêté sa voiture sport, un été, pour que je puisse, pendant les vacances, partir vers le Bas-Saint-Laurent, au pays de
Victor-Lévy Beaulieu, participer à des ateliers de création dans un cadre bucolique). C'est son anniversaire très bientôt et, puisque le souvenir de cette septuagénaire m'attendrit, je vais l'appeler et l'inviter au restaurant, tiens...
Ne rien faire, c'est dangereux : on retourne alors l'« agression » contre soi et l'on développe des maladies psychosomatiques (ulcères, psoriasis, etc.). Quant à la fuite, tout dépend de la manière de fuir : il est évident que la fuite dans l'alcool, la drogue, les somnifères, ça ne fait qu'engourdir le mal et contribue à faire perdre le sens du réel. Certains vont fuir dans le travail, les voyages, les changements de partenaires, etc. ; ce n'est encore qu'une façon d'embellir son malheur en agissant sur les symptômes sans en régler la cause. En 1976, déjà, le biologiste et philosophe
Henri Laborit publiait
L'éloge de la fuite, dans lequel il recommandait notamment la fuite artistique, la fuite dans la création : la rage, la colère, la frustration se transforment en tableau, en roman, en photo ou en cinéma. Le processus devient alors un formidable instrument de catharsis qui profitera même aux lecteurs et spectateurs de l'oeuvre ainsi créée. Pour ceux qui s'intéressent davantage au cinéma qu'à l'écrit, rappelons qu'Henri Laborit a travaillé étroitement avec Alain Resnais à l'écriture et à la réalisation du film
Mon oncle d'Amérique, (1980) qui traite notamment du fonctionnement du cerveau humain ; je vous recommande la lecture de
cet article.
C'est dans cet esprit que j'ai accepté de participer au sujet du mois : l'apparence physique, la tenue vestimentaire... Voilà bien un long détour pour en arriver là, direz-vous avec raison. C'est qu'en fait, je tourne autour du pot, sachant bien que je devrai y plonger, mais reportant toujours le supplice ou le plaisir. Vous me connaissez : je suis parfois de ceux qui parlent, parlent, parlent, jusqu'à ce qu'ils aient quelque chose à dire... Je pourrais bien, après avoir rédigé ce long préambule, tout effacer et ne garder que ce qui se rapporte directement au sujet. Mais il me semble que, dans ce blogue, je ne peux pas ignorer les obstacles que je dois surmonter, les démons que je dois combattre pour arriver à paraître serein. Sans trop savoir comment j'allais traiter le sujet, n'avais-je pas déjà indiqué, il y a quelques jours, par le titre de mon billet, mon intention d'aller « au dela des apparences »...
Ces apparences, dont on recommande généralement de se méfier, elles ne sont pas toujours aussi trompeuses qu'on voudrait le croire. Des études en psychologie ont clairement démontré que les premières impressions sont déterminantes pour l'avenir d'une relation entre deux personnes, que cette relation soit sociale, amoureuse ou professionnelle. Il suffit, par exemple, de se présenter dans une tenue vestimentaire négligée à un entretien de recrutement pour que la perception du recruteur soit déjà défavorable, avant même que le candidat ait ouvert la bouche. Cette première impression négative n'est pas insurmontable : le curriculum vitae, les compétences démontrées, l'assurance avec laquelle le candidat participera à l'entretien, sa façon de s'exprimer, sa personnalité, etc., pourront contribuer à renverser la première impression, mais il se pourrait qu'il subsiste un doute dans l'esprit du recruteur sur la capacité du candidat à s'adapter au code vestimentaire de l'entreprise. Ce n'est là qu'un exemple, qui peut se répéter des dizaines de fois dans une semaine... Je dois dire qu'il me semble avoir toujours été, dans la très grande majorité des cas si ce n'est toujours, favorisé par la première impression (je ne parle évidemment pas de ma vie amoureuse des trois ou quatre dernières années ; le commentaire s'applique à ma vie professionnelle et pratique et ne tient pas compte des relations affectives ; et je n'ai pourtant pas à me plaindre des nouvelles amitiés établies récemment).
Personnellement, j'ai presque toujours été très soucieux de mon apparence et de ma tenue vestimentaire car j'ai toujours été conscient de moi-même et du regard des autres sur moi. Fils de l'institutrice et premier de classe, j'ai toujours cru que je devais donner l'exemple, précisément parce que les regards étaient tournés vers moi. Et s'ils ne l'étaient pas spontanément, quelqu'un (une institutrice, un professeur, le curé du village) faisait en sorte qu'ils le soient. Contrairement à Jean-Paul Sartre qui raconte dans
Les mots, qu'il n'a pas eu de
surmoi puisqu'il a eu la chance de ne pas connaître son père, j'ai longtemps eu un surmoi très présent.
Adolescent, à la campagne, je voulais être au moins aussi bien habillé que mes camarades les plus élégants. Plus tard, à Montréal, j'étais très attentif à la façon dont s'habillaient les jeunes hommes autour de moi. Je n'étais cependant pas de ceux qui trouvaient du plaisir à faire le tour des boutiques de vêtements à la mode toutes les fins de semaine. Il me suffisait d'avoir quelques vêtements de bonne qualité, adaptés pour diverses circonstances, sans plus. À 20 ans, j'osais un peu de couleurs, mais pas trop ; toutefois, je crois bien avoir été parmi les premiers de ma génération, parmi les « classiques », à porter avec un complet des chemises roses et des cravates colorées.
Le jour de mon arrivée à Paris, toute la journée j'ai cherché une chambre avant d'en trouver une en fin d'après-midi, près du métro Ranelagh ; à tous les hôtels où je m'arrêtais, on me demandait si j'étais journaliste. Inconsciemment, je devais projeter cette image de journaliste-reporter, avec mon imperméable beige au col relevé (que j'ai fini par échanger contre un très beau manteau de Pierre Cardin, très élégant ; au retour à Montréal, quelques mois plus tard, j'ai fait fureur avec ce manteau).
Comme j'étais sorti de ma gangue ou de ma chrysalide lors de mon premier séjour à Paris, je me suis peu à peu défait de mon surmoi pour construire peu à peu le Moi idéal et l'idéal du Moi. Pour résumer sommairement ces trois étapes, disons que le Surmoi, en psychologie, c'est l'espèce d'idée inconsciente que l'on se fait de l'autorité parentale, de la censure qui tempère nos pulsions en nous suggérant ce qui est bien ou ce qui est mal, selon l'éducation que l'on a reçue. Le Moi idéal correspond au cinéma que l'on se fait, faisant vivre intérieurement les héros que l'on voudrait être, accomplissant les actions merveilleuses dignes de notre idéal. L'idéal du Moi, quant à lui, serait ce que je rêve d'être ; il tient davantage compte de ma réalité pour tenter de tirer le meilleur parti de cette réalité. Mon style vestimentaire s'est adapté à cette réalité. J'étais déçu de ne pas pouvoir continuer de vivre à Paris, de ne plus trouver autour de moi le milieu favorable qui me permettait de me découvrir, de me révéler, de m'affirmer pleinement, mais, en dépit du milieu répressif, castrateur, envers tout ce qui se distinguait de la masse, je tenais à m'affirmer tel que j'étais, tel que je m'étais enfin révélé dans un contexte qui m'avait permis de le faire. Je me sentais souvent, à Montréal, comme un arbre qui aurait, durant une brève période, développé une arborescence magnifique, complexe et riche et qui, retransplanté dans son milieu d'origine, devait chaque jour renoncer à sa complexité et à sa richesse en raison de la rigueur du climat. J'avais le sentiment de devoir, jour après jour, m'amputer de mes plus belles branches, de mes plus beaux feuillages,
cortar por lo sano, dirait
Maria Casarès, « trancher dans le vif ».
En terme de tenue vestimentaire, cela s'est traduit par l'adoption du costume ou du veston sport, avec chemise et cravate, même pour aller à l'université quand j'ai décidé de m'y inscrire après avoir renoncé à faire carrière dans la chanson et m'être rendu compte que je ne savais rien. Je ne saurais dire pourquoi au juste, mais en pensant à cette époque, le nom de Musset (alors que je préfère Baudelaire) me vient à l'esprit. C'est peut-être que, comme je l'écrivais plus tôt, j'avais rapporté de Paris un superbe manteau de Pierre Cardin, qui n'avait pas son pareil à Montréal, c'est certain, et que la ligne élégante de ce manteau ne pouvait qu'attirer sur moi les regards connaisseurs ou amateurs. Et c'est sans doute que je revois en pensée un jeune homme venu s'asseoir devant moi dans le bus, un soir de décembre où je rentrais de l'université, que ce jeune homme vêtu de noir et « qui me ressemblait comme un frère », tout en me rappelant
le poète, me renvoyait une image du Moi idéal : il était beau, d'une élégante simplicité, l'air intelligent et fin... Il y a des moments où l'autre, devant soi, si désirable soit-il, cesse d'appartenir au sexe incarné, quel qu'il soit, pour nous élever à l'amour des beaux esprits, cher à Platon (dans le cas de ce jeune homme, je ne m'étais pas encore hissé au niveau de l'âme).
Durant des années, donc, j'ai adopté l'uniforme assez classique du veston-cravate. Les couleurs étaient toujours très sobres pour les costumes et les vestons : marine, gris foncé. La coupe était toujours ce qu'il y a de plus classique : j'achetais mes vêtements chez
Holt Renfrew (pas dans le plus cher) ou dans les grands magasins du centre-ville, parce que je savais y trouver un vaste choix sans devoir passer d'une boutique à l'autre. Les costumes, les vestons, sombres, portaient la plupart du temps les marques de Saint-Laurent, Dior ; je mettais plus de fantaisie dans les chemises et les cravates. Pendant quelque temps, j'ai acheté aussi des vêtements chez Old River, avec des coupes et des couleurs que j'aimais ; je ne me souviens plus pourquoi j'ai cessé d'y aller.
Il n'y a pas très longtemps, quatre ans peut-être, que j'ai laissé tomber le veston et la cravate dans ma vie quotidienne. Il m'arrive encore d'en porter à l'occasion ; deux fois par année, peut-être. Ces trois dernières années, cependant, il y a eu un grand relâchement en matière d'habillement et en matière d'apparence, de manière générale. Les seuls éléments de ma garde-robe que je n'aie pas négligés sont les chaussures ; j'aime bien les porter jusqu'à ce que mon cordonnier me dise que je dois les jeter, mais j'achète toujours des chaussures de très bonne qualité, à la ligne simple, confortables et durables.
Le fait de passer de longues heures assis devant un écran d'ordinateur n'est pas très bon, ni pour les yeux, ni pour la forme, ni pour la ligne, ni pour la tenue vestimentaire, tant que la caméra n'est pas obligatoire. Il est donc urgent que je m'inscrive au gymnase et, si possible, que j'aménage dans un immeuble où il y aura une piscine que je pourrai utiliser tous les jours. Après un minimum de remise en forme (en forme de quoi ? vous entends-je demander intérieurement : je vous interdis de penser à Érik Satie et à ses morceaux en forme de fruits), je vais commencer les courses pour constituer une nouvelle garde-robe car, en ce moment, je n'ai vraiment plus rien à me mettre sur le dos.
Quant à la coiffure, il doit y avoir quatre ou cinq ans que mon coiffeur m'a suggéré de lui donner congé. Il m'a conseillé l'achat d'une tondeuse qui fait en cinq minutes ce qu'il prenait un peu plus de temps à faire. Et en deux utilisations, j'ai déjà amorti le coût de la tondeuse. L'ennui, c'est que ma tondeuse ne parle pas italien et qu'elle ne connaît pas les champignons et la façon de les cuisiner comme les connaît mon dernier coiffeur.
Devrais-je vraiment m'arrêter ici ?
*Note 1 : En effectuant une recherche d'image du pont Jacques-Cartier, je suis immédiatement tombé sur cette photo prise par un garçon dont j'ai fait la connaissance sur Internet il y a déjà plusieurs années, que j'ai rencontré à quelques reprises, que j'ai un peu perdu de vue depuis quelque temps (ah ! ces étudiants : ils ne cessent de bouger) mais à qui j'ai récemment envoyé quelques mots pour souligner son anniversaire. Frédéric, merci de cette image que j'ai empruntée sans ta permission. Et si tu as encore mon numéro de téléphone...